jeudi 23 mai 2013

Extrait 2/2 : Iris Empoisonnée



Voici la deuxième partie du 1er chapitre d'Iris Empoisonnée. Attention vous risquez d'avoir une folle envie de lire la suite ^^

Merci de ne pas recopier ce texte. Bonnes lectures :)

Pour lire la première partie, c'est par là ^^


À cet instant, je maudissais comme jamais ce maudit Virus et ma nature de Non-Atteinte.
Autrefois appelé le Fléau Pourpre pour tout le sang qu'il avait fait couler, le Virus avait ravagé le monde, des décennies auparavant. Parce que nous ne vivions pas du côté des Non-Atteints, à Elysium, mais à Tartar, parmi les Atteints, mon frère devait se faire passer pour l'un d'eux pour pouvoir sortir. Tout ceci dans le but de ne pas être pris par des Envoyés qui kidnappaient les Non-Atteints pour les amener à Elysium pour une obscure raison ou tué à vue par des Atteints qui, eux, exécraient les Non-Atteints. Et pour camoufler sa véritable nature, il devait donc se mutiler pour ressembler à un Atteint de son âge, c'est-à-dire un Atteint de quatrième génération, couvert de cicatrices.
L'éternel optimisme de Maman se rappela à moi. Malgré tous les morts, toute l'horreur dans laquelle cette attaque bioterroriste d'origine inconnue avait plongée le monde, notre mère arrivait toujours à y voir du positif.
— Au moins, toutes ces morts et ce sang versé auront eu un effet bénéfique sur notre monde, avait-elle dit le jour où je l'avais questionnée sur l'apparition du Virus. Quand j'étais enfant, durant l'Ère de la Civilisation, les gens avaient différentes opinions, religions, langues, races, couleurs et tout ça les divisaient, les faisaient s'opposer. Maintenant, ils ne font plus de différence. Ils sont tous égaux. Tous Atteints, tous pauvres, tous non-croyants, tous parlant la même langue, tous dans la même situation. Et ils ont tous le même but : survivre. »
Malgré mon jeune âge à l'époque, je me rappelais avoir été étonnée par son discours. Elle semblait en accord avec le fait que les gens ne veuillent plus entendre parler de Dieu alors qu'elle croyait en lui avec ferveur. Je lui avais demandé comment elle pouvait être satisfaite que les gens n'y croient plus.
— Toutes les guerres ont commencé à cause des religions, d'un territoire ou de différences, Irisya, m'avait-elle répondu. Si plus personne ne croit plus en rien, n'a plus rien et n'est donc plus différent d'un autre, il n'y a donc plus de lutte. Et après des millénaires d'effusions de sang pour ces raisons, c'est ce qui peut arriver de mieux à l'humanité, j'en suis certaine.
Je n'avais jamais été d'accord avec son point de vue mais m'étais abstenue de le lui confier. Il n'y avait qu'à voir l'état actuel de Memphis pour se dire qu'elle avait eu tort. Rien n'avait vraiment changé, mis à part le motif pour lequel les hommes s'entretuaient. À ce jour, les Atteints et Non-Atteints se vouaient une haine sans merci parce que les uns avaient été épargnés et les autres craignaient d'être contaminés à leur tour. Elle m'avait dit qu'un jour, j'apprendrais à retirer le meilleur des pires épreuves. Comme elle l'avait fait avec Memphis et moi. Sa bénédiction comme elle disait, nous bâtards, n'ayant pas le même père, issus de viols commis par des immondes Envoyés. Si elle était toujours de ce monde, je songeai à ce qu'elle dirait si je lui avais demandé ce que Memphis et moi retirions de bien s'il lui arrivait malheur. Ou s'il arrivait malheur à Memphis. La connaissant, elle aurait réussi à trouver quelque chose. Moi, je ne voyais rien de bon à tout ça.
Soudain, je sentis les pouces de Memphis essuyer des larmes que je ne m'étais même pas rendue compte que j'étais en train de verser.
— Je suis désolé de t'avoir parlé comme ça, me confia-t-il avec douceur.
Face à son élan d'affection alors qu'il n'était pas de ceux pour qui avaient facilement ce genre de gestes, je devins plus émotive encore.
— Chut... Calme-toi... Ce n'est rien...
Il répéta ces quelques mots jusqu'à ce que je sois à peu près calme.
— Ce n'est pas rien, rétorquai-je faiblement avant de me détourner du terrible spectacle qu'offrait son visage abimé.
Même s'il avait troqué sa chevelure blonde pour une teinture noire, ses beaux yeux verts pour des lentilles brunes qu'il mettait avant de sortir et ses magnifiques traits pour un visage déformé par des cicatrices rosâtres et blanches, des bleus et des coupures, à présent, j'étais sûre qu'il était mieux que la moyenne et qu'à cause de cela, quelqu'un suspecterait sa nature de Non-Atteint, tôt ou tard. Et ça me terrorisait, tous ces risques qu'il prenait pour m'épargner. Tout ça parce qu'il était convaincu que je méritais d'être préservée de l'horreur au dehors et espérait pour moi qu'un jour, l'enfer qu'était Tartar laisserait place à un monde moins horrible. Un monde où je n'aurais pas à éviter le moindre contact humain ou vivre avec un lourd poids sur la conscience, comme lui à cause de ce qu'il était contraint de faire.
— Irisya. Regarde-moi.
Il prit mon visage en coupe pour me contraindre à lui faire face.
— Laisse-moi, murmurai-je en fermant les yeux pour ne pas me remettre à pleurer face triste tableau qu'il présentait.
Je voulais échapper à tout ça, à cette réalité, tout oublier simplement. Mais Memphis semblait d'un tout autre avis.
— Irisya. Regarde-moi.
— S'il te plaît, Memphis, arrête. Ne me force pas à...
Ma voix se brisa.
— Ce ne sont que des bleus et du sang, Irisya. Je ne vais pas en mourir. Tout ça, tout ce que je fais, c'est ce qui nous permet de survivre. Ne t'apitoie pas sur mon sort parce qu'il n'y a aucune raison de le faire.
— Mais...
— Mais rien du tout ! Tu me vois comme une victime et toi, comme la responsable de tous mes malheurs. Ce n'est pas le cas. Sans toi, je serais tout aussi obligé de faire ce que je fais. Alors arrête de verser des larmes pour moi.
Je secouai la tête, sachant que sans moi comme poids sur ses épaules, tout aurait été plus simple pour lui.
— Je ne mérite pas...
— Ose finir ta phrase, petite sœur, et je te mets une gifle que tu ne seras pas prête d'oublier, grogna-t-il.
Sa menace me fit l'effet d'une douche glacée. Il n'avait jamais agi ainsi avec moi, auparavant. Ce qui avait dû se passer, là dehors, devait être plus grave encore que ce que je croyais pour qu'il soit dans un tel état.
— Je...
— Tais-toi ! Pitié, tais-toi !
Intimidée, je baissai la tête face à la lueur d'irritation qui brillait dans ses yeux.
— Tu dis des idioties, Irisya ! Si notre mère – paix à son âme – avait été là, elle te l'aurait dit. Et elle t'aurait giflée elle-même pour penser ainsi.
Il passa une main dans ses cheveux nerveusement.
— Tu mérites d'être protégée autant que possible des terribles choses qu'il y a là dehors. Et puis, nous nous en sortons très bien comme ça. Nous n'avons pas besoin de tous les deux arpenter les rues et risquer d'être vendus aux Envoyés, kidnappés par eux pour être transférés de l'autre côté ou pire encore, d'être tués par des Atteints.
Je restai muette, n'ayant rien à répliquer. Il y avait une grande part de vérité dans ses dires. Ça ne m'empêchait pas de me sentir coupable d'être là, en sécurité, alors que lui mettait son existence en péril.
— Tu es vraiment irrécupérable, lança Memphis sur un ton léger, essayant de détendre l'atmosphère. Arrête de te torturer l'esprit. Je vais bien, tu vas bien, il n'y a donc pas de raison de s'en faire.
Je m'abstins de lui faire remarquer que ça ne serait pas ainsi éternellement, en particulier vu les derniers événements. Memphis s'empara de mon menton pour m'obliger à le regarder droit dans les yeux. Il me contempla avec douceur.
— Tu te souviens de ce que disait Maman à propos de toi, de ton nom, plus précisément ?
J'acquiesçai d'un signe de tête.
— Elle t'a appelée Irisya à cause des iris, ses fleurs préférées, parce qu'elles étaient synonyme de bonheur. Selon elle, ta naissance était annonciatrice d'un avenir meilleur.
Il se tut et je demandai où il avait voulu en venir par là. Je savais déjà tout ceci. Maman m'avait nommée Irisya, parce que c'était plus original mais elle me surnommait Iris car selon elle, j'étais belle comme cette fleur. Je m'étais toujours dit que je devais être une iris empoisonnée, alors. Une fleur magnifique, peut-être, mais qui mettait en danger la vie de quiconque s'approchait trop près d'elle. La preuve avec Maman et Memphis.
— Et tu sais quoi ? Elle avait raison. Même si le monde n'a pas changé depuis, pour moi, il l'a fait. Mon existence est bien mieux avec toi qui en fais partie. Sans toi, survivre n'aurait aucune importance, conclut-il, sa voix trahissant son émotion.
Les larmes menacèrent de couler à nouveau à sa déclaration. Je l'aimais et il m'aimait, c'était un fait immuable. Mais je n'avais jamais eu le droit à ce genre de confidences de sa part. Incapable d'exprimer ce que je ressentais avec des mots, je pris ses mains dans les miennes et lui offris un pauvre sourire.
— Tu sais ce qu'elle disait d'autre quand j'avais un peu moins que ton âge et qu'elle t'attendait ?
Je secouai la tête négativement. Il sourit, l'air un peu ailleurs et nostalgique.
— « Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir », disait-elle en caressant son ventre. Elle m'avait confié que c'était un vieux proverbe qu'on utilisait souvent dans sa famille. À ta naissance, lorsqu'elle a posé ses yeux sur toi, elle a modifié ce proverbe. Tu sais de quelle façon ?
Cette fois, j'acquiesçai. Je savais pour l'avoir entendu maintes fois de la bouche de Maman. Nous murmurâmes d'une même voix :
— « Tant qu'Irisya est en vie, il y a de l'espoir. »
Son regard rivé au mien, il caressa ma joue. La lueur dans ses yeux était beaucoup trop mélancolique pour que cela ne cache pas autre chose que de vieux souvenirs remontant à la surface.
— Même si un jour, je devais disparaître, n'oublie jamais cette phrase.
Le temps que j'assimile ce qu'il venait de dire et mon cœur s'emballa, la panique montant en moi.
— « Disparaître » ? Qu'est-ce que tu racontes ? m'enquis-je, mes mains se resserrant davantage sur les siennes instinctivement.
— Du calme, petite sœur, fit-il en ébouriffant mes cheveux avec affection de la même manière qu'il le faisait quand j'étais une fillette. Ce n'est qu'une façon de parler.
Malgré ses paroles, le doute m'étreignait toujours. Les pires scénarios défilèrent dans mon esprit. Et si Memphis m'était enlevé ? Si des Envoyés l'attrapaient ? Ou pire encore, si les hommes avec qui il avait des soucis dont je ne savais rien tombaient sur lui et le tuaient ?
Memphis me pria de me remettre à nettoyer ses blessures. Je repris ma tâche en silence. Il ne parla pas, non plus.
Lorsque j'eus fini, quelques minutes plus tard, il se leva de sa chaise. À mon grand étonnement, il m'embrassa sur le front puis déclara :
— Merci pour tout. Tu devrais aller dormir, maintenant. Tu as l'air exténuée.
Je jetai un coup d'œil à la fenêtre, le soleil ayant poursuivi sa progression dans le ciel. Il ferait bientôt totalement jour et Memphis pourrait s'en aller à nouveau pour vaquer à ses affaires douteuses.
— Tu restes, n'est-ce pas ? ne pus-je m'empêcher de lui demander, mon irrépressible peur de le voir déjà se remettre en danger me submergeant totalement.
— Oui, je reste. Je vais me reposer, moi aussi. Sois rassurée, je ne partirai pas pendant que tu dors.
Il me connaissait décidément par cœur. Prenant un morceau du pain que j'avais sorti pour lui, il alla s'allonger sur son canapé-lit sans même se déshabiller. Je rangeai les restes de la baguette dans un placard de la cuisine avant de filer en direction de ma chambre.
— Dors bien, Irisya. Je t'aime.
Je m'arrêtai net et me retournai pour l'observer. Ses traits étaient complètement détendus et ses yeux empreints d'amour fraternel. L'estomac contracté par l'appréhension, je restai là à le contempler tandis qu'il me tournait le dos, prêt à céder à l'appel du sommeil.
Mon frère ne m'avait jamais dit textuellement qu'il m'aimait. Et ce, même après des instants bien pires que celui que nous venions de vivre. Quelque chose de terrible était sur le point de se produire. J'en avais la conviction.

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